Mer pas lisse

Suite à un courrier fourni d'observateurs attentifs, je me vois obligé d'être moins tranché sur mes choix en matière de lissage des étendues d'eau. Voici un sempiternel panorama du réservoir de Central Park (pour ceux qui découvrent l'endroit, il suffit de prendre un post au hasard sur ce blog), mais avec des temps de poses raisonnables pour capturer les vaguelettes.



Evidemment, ca change tout. Le contraste entre la ligne brisée de la skyline et la douceur du plan d'eau a disparu. La pose courte rétablit les fréquences spatiales élevées des ridules générées par le vent, la texture chageant dramatiquement l'atmosphère (onirique ?) de l'endroit. En d'autres termes, c'est plus réaliste, et à mon goût, moins intéressant.

Je trouve intéressant que la photographie permette d'aller bien au-delà de la représentation humaine de l'espace-temps. La persistence retinienne fixe la fréquence temporelle limite des mouvements auquels nous sommes sensibles à environ 10-15 Hz. En d'autres termes, un mouvement plus rapide que 15hz nous apparait comme constant (exemple : une lampe électrique qui oscille 50 fois par secondes, même si elle n'alterne pas complètement en lumière et obscurité lors d'un cycle), alors qu'un objet "qui bouge moins vite" est traçable à l'oeil humain. Cette limite de 10-15Hz, qui est fixée par la physiologie des organes photorécepteurs dont nous disposons, est purement arbitraire par rapport à la Physique. Mais elle implique que les temps de pose de notre oeil sont nécessairement inférieurs à 1/(10 Hz) ~ 100 ms.

Insitons : cette limite physiologique nous interdit non seulement d'appréhender ce qui se passe à haute fréquence temporelle (le signal visuel est convolué par le temps de réponse de notre oeil, et , en conséquence, nous ne voyons pas les battements des aies de la libellule ) . Mais elle interdit également de soumettre notre oeil à l'exercice inverse : l'intégration du signal sur un temps très long.

Or, picturalement, il se passe des choses très intéressante aux basses fréquences temporelles, comme .... les vagues qui disparaissent ! D'un point de vue fréquentiel, la photo permet ainsi d'élargir notre perception au dela de nos limites naturelles, et c'est très bien . Un autre exemple intéressant est la photo suivante :



deja publiée précédemment.
Alors que tout le monde patine gaiment en rond, la pose de 20 secondes révèle que quelques fainéants sont complètement immobiles et regardent les autres s'agiter. A l'oeil nu, compte tenu de la densité de la foule qui tourne, ils sont indétectables (et ils le savent...) . Grâce à la photo pose longue, par contre, on les détecte et on peut les montrer du doigt (hé hé ...) .

A ceux qui se demandent encore l'utilité de la recherche fondamentale, voici enfin une application d'un travail de plus 10 ans en laboratoire : mon nouveau concept LongPos(tm) équipera prochainement les administrations ou l'oisiveté des uns est masquée par l'agitation des autres. Et de dénoncer, par exemple, ceux qui ne veulent pas travailler plus pour gagner plus.